Il n'y a aucun doute. Conrad Letendre est le plus grand théoricien de la musique de tous les temps.
Dans un domaine où, avant lui, on ne connaissait rien du rythme et à peine quelques idées fausses de l'harmonie, Letendre
a eu la perspicacité et l'audace de mettre de l'ordre dans le fouillis déplorable et impardonnable qui existait et qui malheureusement
perdure toujours.
Tout dans l'harmonie était axé vers son aspect horizontal (ce qui se suit dans le temps) plutôt que vers son aspect vertical
(ce qui existe et se perçoit en même temps). La gamme, cette énigme capricieuse et suspecte, était placée à la base de la
structure des accords. Chacun de ses degrés (a) servait de note fondamentale pour y empiler une série de tierces et (b) disposait
ainsi un mélange incompréhensible d'accords majeurs et mineurs (un majeur, deux mineurs, deux majeurs, un dernier mineur avant
ce pauvre accord diminué avec lequel on ne savait que faire). Et ceci n'est que ce qu'on nous offrait dans le mode majeur.
Le mode mineur (et on ne connaissait que le mode chromatique parallèle et non le mode mineur symétrique) avec ses gammes «naturelle»,
«mélodique» et «harmonique», ne faisait que compliquer davantage une situation déjà déplorable. Dans cette structure fautive,
on ne trouvait (a) aucun indice d'enchaînement, (b) aucune définition de note réelle et de note étrangère, (c) aucune possibilité
d'inversion.
Letendre a eu tout d'abord la perspicacité de trier le grain de l'ivraie chez les auteurs précédents, notamment la priorité
de la tétrade sur la triade et les enchaînements par quintes (chez François-Auguste Gevaert) et les possibilités d'inversion
d'accords, de mélodies et même de modes complets, (chez Hugo Riemann). Il avait maintenant à sa disposition les accords «
avec sixte » qui correspondaient aux accords « avec septième » et qui lui fournissaient les accords de Dominante pour les
deux modes manquants, le mode mineur diatonique et le mode majeur chromatique. Ceci aurait été suffisant pour le couronner
« maître-théoricien » mais il allait y ajouter des éléments encore plus audacieux et fructueux.
Dans le domaine de l'harmonie, il proposa le concept de « l'équivoque » dans lequel un accord (les quatre mêmes notes) pouvait
avoir une fonction différente par rapport à l'accord qui le précédait et par rapport à l'accord qui le suivait. Ceci lui permit
d'énoncer la première théorie de l'harmonie qui était parfaitement logique et cohérente, SANS AUCUNE EXCEPTION.
Dans le domaine du rythme, tout était à faire. En se basant sur le concept grégorien de « levé » et « posé », il établit
la structure rythmique À TOUS LES NIVEAUX que nous trouvons clairement explicitée dans la revue Musique et Musiciens.
Cinquante ans après son travail et vingt-cinq ans après sa mort, nous ne voyons toujours aucune trace appréciable de propagation
de ses révélations. Une grande honte pour le Québec. Une immense perte pour l'humanité.
Michel Perrault, avril 2004
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