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Nous pourrions donc, M. Kepler et les autres Coperniciens, nous glorifier d'avoir correctement philosophé, encore que cela ne nous ait valu, et ne doive nous valoir encore, de la part de la foule et des philosophes "in libris", que d'être regardés comme des ignorants et presque comme des fous.
(Lettre de Galilée à Julien de Médicis, 1611)

INTRODUCTION
  Il y a maintenant dix ans que j'ai rencontré M. Conrad Letendre et pris connaissance de ses théories sur l'harmonie, le contrepoint et la fugue.

  De bons esprits penseront sans doute que, frais émoulu de la campagne et du cours classique, j'étais alors justifiable d'un enthousiasme juvénile, mais qu'avec l'âge, un surcroit de science et des impératifs professionnels, il serait bien temps de me rasseoir et d'oublier quelque peu ce bon maître.

  Or, il n'en est rien... et le présent article montrera que je récidive facilement lorsqu'il s'agit d'exposer des idées que j'estime vraies et les mérites d'un chercheur que l'on méconnaît.

  Dire simplement que je garde en mémoire le système Letendre serait bien au-dessous de la vérité: depuis dix ans, je n'ai pas cessé un instant de creuser ces théories qui me furent enseignées et, non seulement mes études postérieures n'ont en rien entamé ce capital, mais celui-ci trouve à s'enrichir de tous les travaux que j'ai pu faire depuis lors.

  C'est qu'à la base de mon adhésion il n'y eut pas de sentimentalité, de mysticisme ou pire, de motifs intéressés. Comme tout le monde, je fus instruit d'abord dans les traités ordinaires; ensuite j'ai résisté au moins une année aux preuves apportées par le système; vaincu par une logique sans failles, j'ai dû opter en faveur de cette pensée musicale qui m'a valu d'intenses plaisirs pour l'esprit et bon nombre de déboires dans ma carrière de musicien.

  Il est évidemment impensable, dans les limites de cet article, de décrire en profondeur les améliorations qu'apporte le système Letendre. Tout au plus essaierai-je de le situer un peu dans le paysage musical.

  I - Un esprit nouveau dans la recherche musicale

  Voici d'abord la différence essentielle qui me semble exister entre la démarche de M. Letendre et celle de la plupart des théoriciens.

  Ceux-ci font toujours au départ une sorte d'étude historique et statistique des problèmes de science musicale... i.e. qu'ils effectuent un travail de compilation avec des centaines d'exemples ou de principes choisis dans les "bons" auteurs. Ils encaissent fatalement un échec quand à la fin ils essayent de faire le point et de tirer un système cohérent et logique de l'amas de faits disparates qu'ils ont glanés. La moindre loi comporte plus d'exceptions que de cas normaux!

  On connaît la conclusion habituelle et pessimiste de ces systèmes: l'art est incompréhensible; seul compte l'inspiration; tout change; il n'y a que des "langages musicaux" évoluant à peu près comme une parade de modes...

  Les jeunes compositeurs doivent rejeter ce fatras, ce qui les oblige à réinventer toute la musique, à commetre mille erreurs et souvent à produire des monstruosités en série. On voit par cet enchaînement que les travers nouveaux sont bien les fils des travers anciens.

  M. Letendre part des antipodes de cette mentalité et fait une étude rationnelle des questions de science musicale. S'appuyant sur quelques données simples et claires (comme, par exemple, l'enchaînement dominante-tonique), il soupèse chaque phénomène qui se présente et cherche à le reduire au plus essentiel.

  Il peut ainsi constituer un système d'une cohérence parfaite qui servira à évaluer la production des auteurs et à choisir des exemples profitables. Il structure donc le langage musical - unique et nécessaire - duquel origineront tous les idiomes valables rencontrés en histoire de la musique.

  II - Grandes lignes du système Letendre

  1 - En premier lieu, tout le travail se fait avec l'écriture courante de la musique... i.e. les clefs de sol et de fa. Les clefs désuètes sont complètement bannies.

  2 - Le système admet ensuite que le majeur diatonique (gamme ascendante de DO à DO') et le mineur diatonique (gamme descendante de MI' à MI) sont deux inverses symétriques qui représentent les deux faces de la musique.

  L'idée n'est pas nouvelle : les Grecs en font mention et le grand théoricien allemand Hugo Riemann l'a reprise au XIXième siècle. Mais seul M. Letendre a reussi à en surmonter certaines difficultés et à lui faire donner son plein rendement.

  Il développe alors cette hypothèse de base jusqu'à ses possibilités ultimes qui sont fabuleuses:
- élimination d'innombrables « exceptions » et « résolutions exceptionnelles » des autres traités;
- existence d'accords ascendants à dissonante montante;
- inversion possible de mélodies, d'accords, de modulations, d'altérations, etc.

  C'est toute une moitié de la musique qui soudain s'explique et sort de sa paralysie.

  3 - Cet emploi de l'inverse d'une part, et, d'autre part, le désir d'une analyse harmonique plus poussée ont conduit M. Letendre à créer un chiffrage entièrement neuf, dont les trois principales caractéristiques semblent être :
- des signes inversables;
- le fait que chaque note doit être chiffrée;
- l'accord global est pensé plutôt comme une fonction que comme un degré.

  Ce chiffrage « à la note » est un merveilleux moyen de cultiver l'oreille et d'attirer l'attention sur les plus petits phénomènes harmoniques.

  4 - M. Letendre a établi une distinction très nette entre les notes qui sont accordales et celles qui sont étrangères.

  Ce qui permet de séparer parfaitement l'essentiel et l'accessoire, le structural du décoratif. On évite ainsi des erreurs comme mettre sur le même pied la septième et la neuvième de la dominante.

  Le nouveau chiffrage tient compte de ces réalités et conçoit les notes étrangères en fonctions des notes accordales.

  5 - Comme «vrais enchaînements» le système admet seulement ceux qui fonctionnent par quintes. Tout le reste doit s'expliquer autrement et trouve un grand profit à le faire. Par exemple, M. Letendre emploie le phénomène d'équivoque – admis dans les modulations - à l'intérieur du même ton, ce qui explique beaucoup de faits musicaux jusqu'alors incompréhensibles.

  Cette analyse, infiniment plus rigoureuse et subtile que celle des anciens traités, ne permet plus des absudités comme, par exemple, des enchaînements VII-I !

  6 - L'élève travaille presqu'uniquement sur des mélodies données (au lieu des basses données), ce qui est beaucoup plus logique, compte tenu des besoins musicaux.

  7 - L'élève doit pratiquer l'écriture au moyen de pages d'exercices qui, au début, l'enserrent solidement par le chiffrage mais le libèrent ensuite progressivement.

  Le professeur est d'ailleurs parfaitement libre d'innover en marge de ce plan et de faire «créer» ses étudiants selon leurs possibilités du moment.

  8 - M. Letendre commence l'harmonie par l'enchaînement dominante-tonique qu'il explore longuement. Il insiste pour que la dominante soit immédiatement pourvue des sa septième afin que l'élève distingue parfaitement les deux accords en jeu. L'accord consonant - plus vague- vient plus tard.

Conclusions
  Bref, le système Letendre contient plusieurs réformes qui ne sont pas toutes axées sur une idée fixe, mais s'étendent à partir de la théorie musicale de base jusqu'à la pédagogie appliquée.

  Plusieurs personnes nous ont interrogés sur le contenu proprement harmonique du système. Voici ce qu'il en est : les exercices de M. Letendre couvrent tout ce qu'il y avait de bon dans l'harmonie traditionnelle et ajoutent un bagage énorme qui provient de l'inversion. De plus, il s'agit d'un système «ouvert» qui ne se termine pas avec la couverture arrière du volume, mais plutôt s'enrichit de tous les travaux effectués par les chercheurs qui oeuvrent dans son optique. De très nombreux champs de prospection s'offrent à ceux que tente l'aventure harmonique.

Question et réponses
  J'aimerais maintenant examiner franchement les difficultés pratiques soulevées par l'existence de telles recherches et surtout par leur insertion dans l'enseignement ordinaire.

  Beaucoup demandent : Sur quel matériel repose le système Letendre?

  Il existe près de 500 exercices d'écriture composés par M. Letendre; ces pages (avec problèmes et solutions) permettent de donner un cours complet d'harmonie qui peut se répartir environ sur 3 années.

  Précisons que ces feuilles seules - malgré leur valeur éminente - ne diront pas grand'chose à celui qui n'est pas quelque peu initié au chiffrage et aux théories du système.

  Ceci n'a pas aidé à la diffusion de cet enseignement. Et le besoin d'un traité théorique s'est fait de plus en plus sentir.

  M. Letendre jusqu'ici, a été empêché de mener à terme ce travail gigantesque, pour des raisons que je n'ai pas à commenter.

  Disposant de loisirs assez abondants l'année dernière, j'ai résolu de passer à l'action et d'écrire cette «somme harmonique» réclamée si souvent. Le résultat devrait commencer à paraître sous peu : un ensemble comprenant au moins quatre livres (d'une centaine de pages chacun) intitulé INITIATION AUX STRUCTURES DE LA MUSIQUE PANTONALE. Je dois dire que j'expose le système tel que je le vois personnellement et qu'en aucun cas je ne veux engager la responsabilité de M. Letendre pour quelque hérésie que je pourrais commettre!

  On s'est parfois servi de l'inexistence d'un traité théorique pour refuser tout examen sérieux des théories de M.Letendre. Cet argument ne tiendre donc plus.

  Autre question : Comment ce système peut-il s'aboucher avec des études antérieurs?

  Disons que tout élève qui lit bien la musique et connaît sa théorie de base peut entrer dans le système sans beaucoup de difficulté.

  Ceux qui ont déjà touché à l'harmonie dans les traités courants doivent s'attendre aux réformes décrites plus haut. Pour un étudiant ordinaire, il n'est pas pensable de sauter une années dans le système Letendre. Même pour un sur-doué, il est très difficile de comprimer en peu de temps les connaissances d'une année : il y a un risque certain d'indigestion!

  Je dois cependant signaler ici que M. Michel Perrault a inventé de remarquable appareils pédagogiques devant permettre à de tout jeunes enfants de se familiariser rapidement avec le système. Nous fondons les plus grands espoirs sur cette brillante réalisation.

  Et maintenant, le problème contraire : Comment le système débouche-t-il sur des études postérieures?

  Combien de fois n'ai-je pas entendu cette critique : «L'harmonie de Letendre ne mène à rien»? Formulée la plupart du temps par ceux qui avaient tout fait pour qu'il en soit ainsi...

  Les élèves ont été souvent placés dans une situation fort pénible ; Celle de suivre un cours d'harmonie passionnant qui n'était pas reconnu en haut lieu. D'autres problèmes surgissaient quand il leur fallait passer à l'enseignement traditionnel du contrepoint et de la fugue.

  À ce drame on voyait bien peu d'issue jusqu'à maintenant où l'Université du Québec (à Trois-Rivières) semble disposée à donner au système Letendre la chance véritable qu'il n'a jamais eue. Les élèves qui désirent suivre cette voie pourront désormais le faire en tout tranquillité.

  Pour ce qui est de l'écriture, il est exact que le système Letendre débouche difficilement sur le vieux contrepoint et la vieille fugue; mais il conduit très bien à un contrepoint renouvelé et à une fugue rajeunie selon son optique. De tels cours existent et sont déjà donnés.

Bilan...
  Dans cet article, j'ai voulu exposer avec franchise les joies et les difficultés que m'a valu le fait d'étudier puis d'enseigner un système d'harmonie original que j'ai en haute estime.

  Loin de moi la pensée de jouer les vendeurs sous pression; simplement j'ai trouvé dans le système Letendre un juste milieu - que beaucoup recherchent aujourd'hui - entre un conservatisme stérile et un avant-gardisme farfelu.

Jean Chatillon, Le cas Letendre
Musique Vivante (14 décembre 1969)




 

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