Conrad Letendre naquit à St-Zéphirin-de-Courval (Yamaska), Qué., le 9 janvier 1904. Fils de cultivateur -
quatrième de douze enfants -, il perdit progressivement la vue entre deux et dix ans.
Néanmoins, l'enfant fréquenta l'école et fut mêlé à toutes les activités de la famille.
De 1913 à 1927, il fit ses études à l'Institut Nazareth à Montréal, institution pour jeunes aveugles dirigée par les
Sœurs Grises.
C'est dans cette école, doublée d'un véritable conservatoire de musique, qu'il étudia le piano et l'orgue avec Arthur
Letondal,
le violon avec Camille Couture, l'harmonie, le contrepoint et la fugue avec Romain Pelletier et Achille Fortier.
La formation de Conrad Letendre fut largement empreinte de l'influence de maîtres dont la culture musicale
découlait essentiellement de l'École française. Voyons la filiation : Arthur Letondal étudia l'harmonie à Paris
avec Tandon, le piano avec Marmontel. À Bruxelles, il étudia l'écriture avec Kufferath et l'orgue avec Mailly.
Né en 1844, Romain-Octave Pelletier, père et professeur de Romain, fut, à Paris, le confrère et ami de Gigout.
Né en 1864, Achille Fortier fut l'élève de Théodore Dubois au Conservatoire de Paris ainsi que d'Ernest Guiraud
dont la classe avait été fréquentée par C. Debussy et P. Dukas.
Il connut Saint-Saëns et Franck, et fut le premier Canadien à suivre à titre officiel
un cours de composition au Conservatoire de Paris.
Et, c'est ainsi que, au terme de ses études à l'Institut Nazareth et au début de sa carrière,
le répertoire d'orgue de Conrad Letendre comprenait des œuvres françaises d'avant-garde :
entre autres, les symphonies de Louis Vierne et les préludes et fugues de Marcel Dupré,
dont les partitions avaient été transcrites en braille..
Dès la fin des ses études en 1927, il obtint le double poste de titulaire de l'orgue de
l'église Notre-Dame-du-Rosaire chez les Dominicains à St-Hyacinthe, poste qu'il occupa jusqu'en 1933,
et de professeur de piano et d'orgue au séminaire de cette ville jusqu'en 1935
Le 10 mars 1930, il épousa Alice Daudelin, fille du facteur d'orgues Napoléon Daudelin de St-Hyacinthe.
De ce mariage naquit une fille, Madeleine, le 30 mars 1931.
À peine quelques années après son mariage, en 1933, son épouse meurt. Sa fille, elle-même musicienne, mourra en 1966.
En 1936, il s'installa définitivement à Montréal et tenta d'y poursuivre sa carrière.
C'est alors qu'il connut des années pécuniairement difficiles mais riches de réflexion.
Vers cette époque, il renoua avec son camarade d'études, Gabriel Cusson (Prix d'Europe 1924), rentré au pays.
À partir de ce moment, les échanges constants, au niveau de la pensée axée sur l'écriture,
furent des plus marquants pour les deux musiciens. Ultérieurement, les élèves de l'un
devenaient les élèves de l'autre, de sorte que, petit à petit,
du fruit de cette collaboration est née une véritable école.
De 1942 à 1954, il partagea son temps entre Montréal et St-Hyacinthe. De 1942 à 1952, à St-Hyacinthe,
il fut de nouveau professeur au Séminaire, enseigna dans diverses communautés religieuses
et donna quelques cours d'orgue à la Cathédrale et à l'église des Dominicains.
De plus, il fut aviseur artistique de "La Bonne Chanson" fondée par l'abbé Charles-Émile Gadbois et, de 1952 à 1954,
occupa le poste de rédacteur en chef de la revue Musique et Musiciens.
Notons que, durant toute sa carrière à St-Hyacinthe, il fut professeur chez les Frères du Sacré-Cœur,
les Sœurs Grises, les Sœurs de Saint-Joseph et les Religieuses de la Présentation.
À Montréal, il aura épousé entre temps son élève, assistante et collaboratrice, Aline Chénier-Lavergne.
Les élèves de Conrad Letendre, dont la plupart deviennent organistes titulaires, sont entre autres,
Gaston Arel, Mireille Bégin, Raymond Daveluy, Kenneth Gilbert, Bernard Lagacé, Lucienne L'Heureux.
Ils fondent le "Groupe Conrad Letendre".
Ils n'ont pas vingt ans, et, déjà, font leurs armes en donnant des concerts sur les meilleurs
instruments de la métropole.
Soulignons que ce groupe formait un noyau très serré où l'entraide était le mot d'ordre
et où l'aîné, en l'occurence Raymond Daveluy, guidait les plus jeunes.
Deux des élèves de Conrad Letendre gagnent le Prix d'Europe; plusieurs obtiennent des bourses
qui leur permettent de poursuivre leurs études à l'étranger.
C'est parmi cette phalange d'organistes qu'il faut chercher les promoteurs du renouveau de l'orgue amorcé à Montréal
au début des années soixante.
C'est aussi pendant cette période qu'il entreprend des recherches qui le conduiront vers l'élaboration
d'un nouveau système d'harmonie. Boursier de L'Aide à la Recherche au ministère des Affaires culturelles
du Québec pour ses travaux et recherches en pédagogie musicale appliquée à l'harmonie et au contrepoint,
il est l'auteur d'un traité d'harmonie que d'aucuns considèrent être son œuvre la plus importante.
Il en diffusa les principes dans maintes institutions, notamment à la Faculté de musique de l'Université de Montréal,
où il fut professeur d'harmonie et d'organologie de 1955 à 1962.
Nombreux furent les disciples qui venaient le consulter chez-lui, là où le temps ne comptait plus,
où l'on pouvait se présenter à l'improviste, rester à dîner…, où pouvait rayonner en toute liberté
la forte personnalité du maître. Parmi les plus assidus, les plus fidèles, citons :
Jean Chatillon, Raymond Daveluy, Michel Perrault, Gertrude Perreault.
Ils continuent, chacun selon son génie et sa profession, dans la voie tracée par Conrad Letendre.
Les circonstances firent en sorte que, dès le début de sa carrière à St-Hyacinthe,
lieu important de la facture d'orgue au pays, il fut irrésistiblement attiré vers cet art difficile.
Il parvint à acquérir une connaissance remarquable dans ce domaine et y fit des recherches du point de vue organistique.
Entre 1950 et 1960, ses idées sur la composition de l'orgue furent suivies par la maison Casavant
dans la construction d'instruments de dimensions imposantes, dont l'orgue de Saint-Sixte à Ville Saint-Laurent,
celui de Saint-Jude à Montréal, ainsi que, en 1954, dans la rénovation de l'orgue du Gesù à Montréal,
instrument pour lequel son œuvre d'orgue à été conçue.
Dans tous les domaines qui lui tenaient à cœur, Conrad Letendre fut passionnément attaché à ses principes,
parfois jusqu'à l'intransigeance. D'abord fidèle à lui-même, personne ne s'est moins soucié des tendances du moment.
Pédagogue et théoricien, esprit chercheur, il fut un maître à penser toujours disponible.
D'un altruisme rare, d'un dévouement sans bornes pour tous ceux qui avaient besoin de ses conseils,
il exerça auprès de ses élèves une espèce d'apostolat.
Il mourut subitement le 20 novembre 1977, entouré de confrères, en pleine activité, comme il l'avait souhaité.
Un an après sa mort, on fonda à St-Hyacinthe le Festival Conrad Letendre, où, depuis quatre ans,
des manifestations musicales d'envergure ont lieu chaque printemps, dans le magnifique cadre de la cathédrale.
Aline Letendre, août 1982
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